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Mais aucun de ces projets, ni aucun de ceux de par le monde dont j’ai vu les
photographies ou lu les descriptions, n’émane d’une vision centrale qui percevrait la
place et la fonction justes de chaque élément et de chaque relation. Ils naissent
tous d’une idée, d’un fragment de compréhension, d’une nécessité particulière
magnifiée, d’une volonté ou d’une association de volontés limitées.
Ici le noyau de l’entreprise est un avec la simplicité essentielle, revisitée par une
expérience profondément nouvelle, qui fonde, anime et habite tous les grands
symboles et tous les rythmes premiers ; cette simplicité créative qui est identique
au cœur de l’expérience spirituelle, comme au cœur organique de la vie, comme au
centre atomique de toute expansion matérielle.
Et c’est seulement dans la sécurité de cette essentielle simplicité qu’une richesse,
une complexité, une prospérité de formes et d’attributs peut se créer, s’épandre et
augmenter : une création vraiment génératrice, dont le souffle ne peut être
récupéré ni usurpé…
Pourtant, si beau, si vaste et si profond soit le symbole autour duquel nous nous
réunissons, si éternelle et puissante soit la référence donnée à nos progrès et nos
actes, notre bagage est encore si obscur que notre service et notre aspiration en
demeurent les otages et continuent de s’y engluer.
Comme nous tordons, durcissons, divisons, comme nous argumentons, découpons,
réduisons, comme nous nivelons, pillons, trompons, méprisons, oublions,
marchandons, et d’autant plus douloureusement que nous sommes plus près de la
beauté et du souffle qui cherchent à se manifester !
Comme cette beauté même nous plonge à la racine même de toutes les résistances
et de tous les vols : car notre ego, tout bon instrument qu’il fut, est le grand voleur,
le malin pilleur qui n’aurait de cesse qu’il ait tout reconquis à son image, tout violé
et détourné pour se grossir !
Et ces années de privilège sont aussi celles d’une complexification à la limite du
supportable, où se résume toute la difficulté évolutive : et ici aussi l’on arrive au
bout du monde, au bout de l’ego !
Face à la seule question brûlante, d’une évidence presque à hurler ; il n’y a plus
rien qui ne soit la question : comment passer ?
Physiquement ?
Ici ?
« Il faut être toujours plus grand que l’expérience »…
Là se trouve la sécurité : de ne pas devenir fou, idiot ou débile, de ne pas céder à
l’impulsion d’une destruction facile, de se centrer dans le grand silence qui regarde,
la grande liberté qui aime, et le rire de Cela.
*25-1-2000, Auroville :
Qu’est-ce donc, vraiment, qu’un « pays sous-développé », ou, selon cet
euphémisme poli, un « pays en voie de développement » ?
Avec un peu d’honnêteté et d’objectivité historique, il faut bien admettre qu’il s’agit
de pays et de peuples dont le développement naturel, c’est-à-dire le
développement issu de leur culture propre et de son évolution interne, a été
enrayé, entravé ou colonisé, dominé, désorienté et persuadé ou forcé par des
moules de pensée et des systèmes de valeurs et de motivations qui leur étaient
étrangers.
C’est ainsi que tous nos jugements et toutes nos évaluations sont faussés et viciés.