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l’amitié. Et à cause, enfin, de cette bisexualité que je ne pouvais ni ne voulais

embrigader, de cet équivoque que je ne pouvais ni ne voulais tenter de trancher.

*19-1-2000, Auroville :

Depuis que je suis rentré mon corps demande beaucoup de sommeil, plus encore

qu’avant. Cette sorte de confort énergétique, d’aise et d’immédiateté de l’énergie

physique, que j’avais retrouvée avec étonnement durant ce séjour en France, cela

s’est dissipé, comme neutralisé, ou alourdi, englué.

Hier soir deux Auroviliens se sont fait vicieusement attaquer à coups de tessons de

bouteille dans un bar de Sadarapet par des jeunes du village d’Edayachavadi, qui

ont pris la fuite dés que Rama s’est ressaisi et a empoigné une barre de fer pour

leur rendre comptant ; trop tard : Mani est sous oxygène et transfusion, le ventre

ouvert, et Ponnu a douze points de suture à la jambe.

La violence : la violence physique est au bout de la chaîne, là où le corps est

exposé ; le corps, la matière naturalisée, celle d’une fleur, d’une pierre cristalline,

celle d’un enfant… L’innocence devient dans notre monde une vulnérabilité.

La violence ne peut se manifester physiquement que lorsque toutes les autres

protections ont déjà été trahies et abîmées.

Nous croyons que ces protections sont morales : peut-être, si l’on entend par là le

sens incarné de la valeur de toute vie et le respect de toute intégrité. Mais la

déperdition de ce respect, la dévalorisation du manifeste, ne sont pas causées par

une violence précise : il y a des violences plus sourdes, plus diffuses, plus

générales, qui précèdent loin en amont toute violence spécifique et caractérisée.

Tout est solidaire : l’égoïsme et l’ombre, comme le besoin de vérité et d’harmonie.

Et la substance est d’elle-même solidaire en tout, quels que soient nos principes,

nos jugements, nos soifs et nos intentions.

Le pillage d’un côté, la démographie de l’autre, sont les deux faces viles et

grotesques de l’hydre menaçante qui engendre à chaque seconde plus de désarroi,

plus de détresse et plus de désordre.

La question de la violence ne relève plus seulement de la justice sociale.

Alors que j’écrivais cette dernière ligne, un bruit soudain de bâtons frappés

durement contre le sol, une frénésie : l’un de nos gars poursuit une petite iguane,

essayant de l’assommer : je dois le rappeler à l’ordre d’urgence, et l’iguane

s’échappe.

J’ai « dû intervenir »… ce qui nous motive à intervenir est rarement pur. L’instinct,

l’indignation, le sens, oui, de la justice ? Quand est-on conscient et de l’acte, de

l’origine de l’acte et de ses effets ou conséquences ?

Kr est venu me rejoindre, sur le plus haut gradin de cette grande aire orangée de

l’Unité ; le soleil couchant s’épand comme une onde chaleureuse et, devant nous

dans la pâleur bleutée du ciel apaisé la lune déjà levée, aux trois quarts pleine, son

orbe d’or clair suspendue juste à la droite et un peu au-dessus de la sphère de

Matrimandir : native et insolite à la fois, notre sphère d’un monde à devenir, en

haut de laquelle flambe déjà la première couvée de disques dorés.

Kr, tout de douceur, son rire simple, à la fois ouvert et contenu, sa tendresse

patiente quand il pose sa tête sur mon épaule…

Combien de nos actes, extérieurs ou subtils, sont réellement exempts, dépourvus

de violence ?