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par rien autour d’elle, ni ses parents, ni son milieu, et pourtant ne se posait pour

rien d’autre qu’elle-même, ne se préoccupait d’aucun modèle mais ne prétendait

rien non plus. Un peu plus âgée que moi, à 15 ans elle aimait le vin rouge ; et

deviendra plus tard alcoolique.

Lorsqu’elle eut ses premières règles, il nous sembla à tous les deux, dans le

désarroi de la culbute vers les formes fixées, attribuées et adultes, qu’était venu le

signe de notre conversion : il fallait donc nous dépuceler l’un l’autre !

Mais c’était un défi de principe. Nous n’éprouvions pas en fait le besoin

correspondant : l’harmonie que nous partagions était en fait suffisante.

Ce fut un fiasco ; qui, pourtant, ne l’empêcha pas de s’attacher de plus en plus à

ma vie.

Ce fut ainsi par mon ami Guillaume que son dépucelage à elle se produisit, alors

que nous étions tous ensemble dans les montagnes. Guillaume était celui dont

l’aura me retenait le plus prisonnier ; il incarnait justement ce moment douloureux

de choix ; il se tenait juste là sur cette crête, il allait passer du côté des hommes, il

ne pouvait y résister, il ne voulait y résister ; l’ambition du mâle singulier s’était

trop forte éveillée en lui, malgré toute l’intensité de ce qui coulait encore entre nous

– une intensité dont il ne trouvait plus la place vivable. Pour moi alors, la pâleur

vulnérable et sensuelle de son cou, de sa gorge un peu découverte à l’échancrure

de sa chemise, l’effort encore innocent qu’exprimait son visage tendu, que tentait

de masquer ses yeux pers, effort de se montrer averti parmi les hommes,

suscitaient une émotion si douloureuse.

*6-1-2000, Auroville :

Mon propre dépucelage conventionnel s’est produit sans éclats ni romance, un jour

de vacances, avec l’une de ces jeunes filles dont la féminité est comme une

pesanteur sans définition, une passivité neutralement accueillante.

J’avais 14 ans. C’était la dernière année de ma carrière scolaire – je venais d’entrer

en « seconde » au Lycée Henri IV, juste derrière la Panthéon.

Cette année-là vit mon dernier effort pour adhérer à l’itinéraire officiel de la vie.

De là j’ai plongé dans les remous d’un autre parcours, qui ne se révélait que

d’instant en instant et de jour en jour, et se traçait au travers d’un nombre

croissant de rencontres.

Ceux que j’ai alors commencé de côtoyer étaient tous plus âgés.

Je suis entré dans cet enfer relationnel avec mon propre feu qui poussait du

dedans, pour en délivrer les leçons, les messages et les indications d’un sens, d’un

but, d’une destination, d’un accomplissement ou d’une aventure que j’aurais été

bien en peine de me formuler.

Chaque être, chaque relation était un monde en soi, et un nœud qui se formait,

dont il fallait trouver la note délivreuse.

Neuf années se sont alors écoulées, neuf années d’une tension si intense que je ne

pouvais l’endurer justement que d’instant en instant. La courbe de ces 9 années est

assez claire : 4 années pour que mes antennes intérieures et (il me semble que le

mot est correct) supra physiques s’éveillent et s’activent ; 2 années pour me diriger

physiquement et centralement vers la Réponse ; et 3 années encore pour parvenir

à offrir toute cette improbable somme.

Avec la perspective du temps et de l’expérience, les 4 premières années ont une

qualité de gratuité et d’honnêteté qui restent pour moi une référence ; il y avait là à

la fois une nudité, une disponibilité, une exactitude, une humanité enfin, qui même