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Collectivement nous ne l’avons longtemps saisie que dans sa réalité naturelle :

l’irrésistible et infaillible force de la Nature, dont le milieu spatio-temporel nous

porte, nous situe et nous englobe ; notre expérience est pétrie et conditionnée par

son omniprésence ; et lorsque nous sommes parvenus à une relative maîtrise de

ses immenses ressources, quand nous l’avons ici et là partiellement harnachée à

notre entreprise civilisatrice, nous la retrouvons plus insaisissable et mystérieuse

encore par-delà les miroirs et les signes codés des mécanismes subtils qui semblent

constituer la base première de la vie matérielle ; pareille au mirage d’une ultime

conquête elle nous tente et nous invite et entraîne notre volonté insatiable de

contrôle jusque dans les atomes et les gènes.

*6-2-2000, Auroville :

Dans le règne de la Nature, tout comme les plantes et les minéraux, les animaux

sont libres de ce fardeau que nous sommes seuls, semble-t-il, à porter : le sens du

temps.

Les animaux et la plupart des végétaux naissent, croissent et se développent, se

maintiennent dans la maturité d’une pleine vigueur et, passée une certaine apogée

d’expression, diminuent, dépérissent et se décomposent.

Les minéraux, à moins d’une intervention mécanique extérieure, semblent

participer d’une continuité de rythme évolutif d’où la mort est exclue

Les plantes sont soumises à une courbe inéluctable : venues de l’invisible elles

retournent à l’invisible ; et les animaux ont l’expérience de la mort, car ce n’est

plus seulement que la sève graduellement se tarit, se fige et s’absente : c’est leur

corps individuel qui, d’un instant à l’autre, est atteint de mort.

Il est pourtant clair que ni les végétaux ni les animaux ne sont affectés par le sens

du passage du temps comme nous le sommes ; et c’est l’activation de la pensée et

de la capacité de se représenter les choses et de les anticiper, les comparer et les

évaluer, qui est responsable dans notre expérience de la dramatisation de la mort.

Il semble ainsi que plus la créature est complexe et plus elle acquiert le sens de son

individualité et de son unicité, et plus poignante est la mort.

Nous existons dans le croisement de deux feux.

L’observation instrumentale commune d’une réalité objective relativement stable

dont la constance équivaut pour nous à une éternité, nous maintient au niveau des

espèces, pour lesquelles le temps et la mort ne sont que des incidences rythmiques.

Tandis que l’expérience psychologique subjective de notre vie et de celle d’autrui

nous expose à l’acuité de questions insolubles et nous précipite à des frontières

dimensionnelles où le temps et l’espace, la matière, la conscience et la mort parfois

se contredisent, parfois se confondent.

*8-2-2000, Auroville :

Nous sommes autant de discordances.

L’animal à chaque instant de sa vie est un alignement parfait ; son rythme est un,

sans disparité ni brisure ; l’animal n’est pas tourmenté par le passage du temps ; il

n’anticipe pas séparément la venue de la mort : son instinct est la garantie de son

intégrité d’expérience.

*9-2-2000, Auroville :

Il est bien plus facile d’être fidèle quand on est de passage !