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La « position » que j’occupe a un nom courant de nos jours ; elle est prisée comme

une sinécure : c’est le métier de « superviseur » !

Beaucoup de cette vie humaine est une grande blague ! Mais qui cela fait-il rire

autant, et si longtemps ?

*22-2-2000, Auroville :

Ce matin, finalement, Eleanore est partie.

Elle refusait de se nourrir ; elle n’avait plus le goût de lutter, cette femme qui s’est

tenue droite, fière, libre et exigeante de sa propre bonne volonté ; indépendante

pour tous ses choix de vie, qui l’ont amenée ici âgée de 80 ans, loin de ses

habitudes et ses conforts, pour une nouvelle aventure.

Le 1

er

Janvier à l’aurore, je l’ai vue tomber ; le mouvement de son corps en arrière

a attiré mon attention, puis ce que ce mouvement exprima : passée le stade où

quelque sursaut de volonté aurait pu enrayer la chute, elle s’est laissée aller, elle

s’est livrée ; elle a basculé dans la chute même et s’est retrouvée étendue sur le sol

de l’amphithéâtre au milieu de tous, dans la lumière limpide du jour naissant, ce

premier jour d’un autre millénaire, ses yeux droits dans le ciel encore rosé, tout

près du Feu, tout près des fleurs ; et pour elle c’était une simple perfection.

C’était un « oui » de tout l’être : quel autre moment serait-il aussi beau, aussi juste

pour prendre congé ?

Quand les gens se sont approchés pour l’aider et les membres de son groupe se

sont rassemblés près d’elle, elle ne voulait pas l’effort de se redresser. Elle voulait

peut-être simplement un chant, un poème ? Du repos ? Du temps dégagé pour ce

moment précieux ?

Je crois qu’elle aurait seulement souhaité qu’on la ramène doucement dans sa

communauté, pour de là s’en aller, en harmonie.

Cela, c’est ce que j’i vu et perçu sur le champ, sans mots, en la regardant, pendant

ces quelques instants.

Je ne me suis pas déplacé : je ne la connaissais pas personnellement et elle était

entourée de ses amis, dont deux sont docteurs, et tout se passait donc aussi bien

que possible ; et je pressentais aussi que ses partenaires de recherche – un genre

de dilettantisme gratifiant versé dans les techniques de méditation et de guérison –

n’auraient pas la même compréhension de ce qui venait de se passer.

Ce groupe décida alors de la transporter jusqu’à un hôpital de Pondichéry, où il fut

établi qu’elle avait une fracture de la jambe et qu’il fallait opérer le jour même ; elle

a dû rester là des jours et des nuits d’inconfort extrême, loin de toute atmosphère

souhaitable ; puis ils l’ont ramenée dans notre dispensaire où, depuis plusieurs

semaines, les uns et les autres se relayaient à son chevet, essayant de la persuader

de se rétablir, de se nourrir ; et ainsi elle a dû endurer ces humiliations et cette

débâcle physique…

Mais de quel droit puis-je parler ou même penser ainsi ? Moi qui n’ai connu

Eleanore ni dans le travail ni dans sa vie personnelle ?

Mais n’est-ce pas pour apprendre à percevoir et se percevoir les uns les autres que

nous sommes réunis ici ?

*24-2-2000, Auroville :

C’est cela aussi qui est nouveau dans le monde : c’est qu’une aide agissante,

impersonnelle, partout présente, est disponible à chacun de ceux qui ont

l’aspiration et le besoin de développer la vraie conscience.