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82.
Nos règles, nos structures et nos lois ne sont que les moyens de contrôle et les
digues nécessaires pour soumettre une nature indéfinie qui, n’ayant pas trouvé son
centre conscient, se livrerait autrement à l’impulsion de mouvements trop
effectivement contradictoires.
Il n’y a plus, semble-t-il, d’ « espèce humaine », comme il y a des espèces
animales, au sens où l’humain s’est dissocié de cet instinct d’équilibre naturel de
l’espèce, qui sait reconnaître et préserver les conditions justes de son harmonie.
Et la même dissociation, ou la même perte d’instinct, tend à se produire chez ces
espèces animales qui se sont laissées domestiquer par l’homme et lui ont permis,
dans leur confiance inconditionnelle, de les manipuler à des niveaux essentiels.
Nous avons encore ce qui ressemble à l’instinct animal de reproduction, mais
partiellement seulement et sans, justement, ce discernement instinctif des
conditions favorables. Nous ne nous perpétuons ainsi que parce que nous n’avons
vaincu ni la déchéance physique ni la mort – parce que nous n’avons pas dépassé la
nécessité de la mort inconsciente.
83.
Nous nous perpétuons parce que nous ne savons pas progresser consciemment,
nous ne savons pas appeler, devenir, nous ne savons pas choisir.
Notre petitesse ne sait pas disparaître ; alors elle nous étouffe et nous étrangle ; sa
ténacité nous lasse et nous use jusqu’à ce que, las de nos murs et de nos ornières,
nous appelions la délivrance, et accueillions la possibilité même de ne plus être.
D’autres, issus de nous-même, chair de notre chair, seront, et continueront.
Nous perpétuons encore, avec une conviction diminuée, et une passivité accrue, la
domination humaine sur la Terre.
Le maître du royaume de la Terre : l’homme un ami et l’hôte attendu et bienvenu,
mais aussi l’homme l’étranger, l’homme l’ombre, et la Nature se rétracte, violentée.
Et à présent que nous avons investi la terre entière de notre vacarme avide et que
nous ne connaissons même plus, ou si rarement encore, ces moments terriens de
communion reconnaissante qui nous faisaient murmurer dans nos cœurs « oh, pour
ce seul instant, tout cela valait la peine… », ces secondes d’une extase simple et
pleine où tout participe et se joint, la fleur, la rosée, le pourpre et l’arbre et la
plaine et le sol qui bat, matériel – à présent que ces instants mêmes sont exclus de
notre expérience matérielle et que partout nous rencontrons l’image de notre
manque, quelque chose nous dit pourtant : « Attends ! C’est là ! Le levier, la
joie… ! »
84.
Dans le contexte de cette « ville », tournant sur l’axe de cet idéal trop grand et trop
évident pour l’étroitesse craintive de nos exclusivismes – cet idéal d’unité, par delà
les races, les religions, les cultures, les partis, qui carillonne à toute volée l’appel
impératif à devenir -, la véhémence de nos petitesses a resurgi la même, mais plus
pauvre d’être dénudée.
Toute notre manière politique d’exister,