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94.
Une éducation qui implique évidemment, de la part de ceux qui s’offrent à en être
les agents, la réalisation d’une certaine transparence, et des qualités conscientes
d’attention, de patience, de discernement et d’intuition.
Dans cette « ville », nous étions alors encore loin de remplir ces conditions.
Emergeant à peine nous-mêmes du réseau restreignant de la grande confusion,
pervertis dans nos mouvements et ignorants de l’équilibre, encore encombrés et
noués, nous ne pouvions guère prétendre à cette compréhension active et sereine.
Nous étions autant de matière brute, dans un grand désordre de notions, d’espoirs
et de croyances, sur un terrain désert, à pied d’œuvre et sans guide apparent.
Pourtant, des enfants, il y en avait déjà parmi nous, et beaucoup d’autres sont
bientôt venus.
Miroirs de nous-mêmes et rappels vivants, et constants, des conditions réelles du
travail, récipients de nos peurs mais porteurs et emblèmes de l’idéal, répondant
d’instinct à l’appel de la liberté, baromètres infaillibles des mouvements des forces,
et reflets immédiats de nos conflits.
95.
Par la spontanéité de leur don de soi, par la nudité de leurs réponses, et l’honnêteté
de leur ouverture, par la sécurité de leur référence innée à la grande coulée de
force et de présence, dans la joie intègre de leur épanouissement, comme en leur
grotesque caricature de nos grimaces, par leurs peines soudaines et leur refus,
dans leur besoin de mouvement et la candeur de leur rapport aux énergies, par
l’absolu de leur confiance dans le monde et l’être et la vie, ils ont fait plus pour la
perception vivante du chemin que toutes nos pensées et nos efforts réunis.
Dans leurs grands yeux vibrant du Possible on se retrouvait soi-même à prier, et
quand leurs petits corps disaient simplement la douleur et le manque, la futilité de
notre propre clameur s’éteignait de honte ; ils nous montraient, sans mots, sans
calculs, l’éternelle erreur d’être dur et séparé.
En eux Son grand cri se répand, et ce regard inflexible sur l’immense besoin de
vérité.
96.
Il y a le pouvoir, et il y a le Pouvoir.
Il y a notre pouvoir de choisir, que nous ne savons encore ni reconnaître, ni vivre,
ni développer.
Et il y a la grande coulée de Puissance, partout dans l’espace et le temps, ce seul
Pouvoir absolu, qui brûle et détruit quiconque cherche à s’en emparer.
Notre pouvoir de choisir, nous l’avons de nous-mêmes aliéné.
Nous avons fragmenté et distribué aveuglément la responsabilité de choix qui ne
concernent que nous-même. Nous demandons à l’autre de représenter pour nous
les termes du choix et d’exercer notre propre capacité de choisir.
Ainsi nous faisons-nous mutuellement violence.
Avec la multiplication de ce subterfuge, la distance a grandi entre ces
représentations et nous-mêmes, individus.
Le gouffre s’est creusé.