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*30-4-1984, Yercaud :
Je suis remis, presque brutalement, devant le mystère de ma propre origine…
… Ce matin j’ai trouvé un docteur dans une clinique tenue par des sœurs et j’y ai
emmené Krishna… Ce docteur lui a fortement conseillé d’arrêter le tabac ! Alors, il
va me falloir arrêter aussi !
… Mon corps n’est pas heureux ici…
*1-5-1984, Yercaud :
Krishna a eu toute la nuit une douleur insupportable dans la jambe, et il craint
quelque phénomène irréversible ; il y a en lui une peur, une hantise constante, qui
tend vers la paranoïa ; tout devient menaçant… Mais en effet, dans ce cas de
mutation génétique des globules rouges, c’est justement le risque de toute infection
qui est le plus lourd…
Nous sommes descendus à Salem en voiture, dans la chaleur épaisse et bruyante et
sale ; nous avons trouvé un gentil docteur qui l’a examiné et lui a fait une injection
d’antibiotiques, et nous sommes remontés à notre repaire…
… J’ai un peu de mal à « être à la hauteur » : je dois m’occuper complètement de
lui, et de tout ; je dois lutter contre la peur en lui, et toutes les formation, et
répondre à ses besoins psychologiques ; je dois traiter avec ses discours, et
absorber tout ce qu’il me dit avec toute sa force, sans réagir ; et je dois aussi
garder mon équilibre physique…
Et je ne veux pas tomber dans le piège de tenir la charge par orgueil…
*2-5-1984, Yercaud :
Krishna fait pression pour que je change ma position en Auroville, ou envers
Auroville… Mais ce n’est pas Ta Pression !
J’ai besoin de me replonger dans mon propre silence, sans influences, même celle
de Krishna… J’ai besoin de tout « vérifier » dans cet espace que nul être, si
« grand » soit il, ne peut me prendre, ni me donner…
… C’est comme si toute l’énergie de Krishna tendait à emplir puissamment les
conflits, les oppositions, les choix… Alors que je ne me sens exister que libre d’eux,
lorsque l’Action est une coulée qui sait, traverse, brûle et change sans
interférences, étrangère à tout conflit…
Est ce une lâcheté de ma part ? Je ne sais pas.
… J’ai marché seul cet après-midi, jusqu’à la Station de Recherches où travaille
Narasimhan, et nous avons ensemble fait une visite de leur magnifique jardin : quel
beau travail ! Et quel bel être !
… J’ai beaucoup regardé la place et la réalité de la violence…
Krishna justifie encore la violence, et continue de la projeter en avant, choisissant
de la confondre avec l’Action – l’Action qui peut être radicale, certainement, et
même impliquer la « mort » du corps, mais dont la nature est absolument autre !
Je suis convaincu que la violence en soi est une grande faiblesse et que son
expression peut faire retourner loin en arrière…
Alors que si l’on parvient, sans se détourner de la vie ni des circonstances, à un
calme transparent qui s’offre à la possibilité d’agir, même si l’Action est radicale ou
apparemment destructive, elle portera pourtant quelque chose de la Présence, de
l’Amour, du Sens et de la Vérité, et quiconque en sera frappé, ou témoin, en
recevra consciemment une aide pour sa propre évolution…