DE NOUVELLES COMPÉTENCES POUR UNE BANQUE QUI S’ÉMANCIPE
68
69
Marketing du futur :
un coup
d’avance sur la concurrence
Dans les années 80,
le secteur bancaire
n’est pas encore à la
pointe du marketing.
Au Crédit Agricole, les
directeurs généraux de
Caisses régionales sont
en quête d’innovations
qui leur permettront
de faire mieux que les
concurrents. L’idée
pour prendre un temps
d’avance: s’inspirer des
entreprises américaines.
Au cours des années 80, la FNCA et l’IFCAM
lancent une vaste consultation pour accéder aux
entreprises de service innovantes et réfléchir à des
évolutions pour le Groupe. Un cahier des charges est
établi à l’intention des meilleurs cabinets de consulting,
dont les propositions sont soumises à un jury com-
posé de cadres de direction en Caisse régionale, de
membres de la FNCA, de la CNCA et de l’IFCAM. La
meilleure proposition sera parfaitement ajustée aux
attentes des Caisses régionales après quelques séances
de co-création entre le cabinet retenu et l’IFCAM.
ALLER À LA SOURCE DE L’INNOVATION
« Le coup de maître, c’est un séminaire appelé
Marketing du futur
proposé par deux hommes très inté-
ressants : Éric Langear et Pierre Eiglier, qui connaissaient
bien les banques aux États-Unis. Ils ont fait un tabac »
, se
souvient Jean Beaujouan, alors en charge du «perfec-
tionnement dirigeants » à l’IFCAM. Ils vont permettre
aux directeurs généraux des Caisses régionales de ren-
contrer les dirigeants, les directeurs du marketing et les
directeurs commerciaux des entreprises américaines les
plus en vue. Éric Langear et Pierre Eiglier s’appuyaient,
pour conduire le séminaire, sur le concept marketing
de la
servuction.
LA SERVUCTION, UNE NOUVELLE FAÇON
DE PENSER LE SERVICE CLIENT
Le néologisme a été inventé par les deux
hommes en combinant les termes service et produc-
tion.
« La servuction c’est la prestation d’un service, alors
que la production concerne la fabrication d’un produit »
,
rappelle Denis Tétu, alors responsable des séminaires
Marketing du futur. Il a intégré le concept de servuc-
tion dans les formations commerciales et marketing à
l’IFCAM.
« Avec les notions de service global et de services
périphériques, Éric Langear et Pierre Eiglier ont réussi à
conceptualiser des idées que l’on pressentait déjà mais qui
restaient éparses, et à mettre des noms sur ces concepts. »
Lorsque tout le monde propose la même offre, l’enjeu
pour l’entreprise est de se distinguer aux yeux du client
en développant des services périphériques qui vont
valoriser l’offre de base. Par exemple, avec une distribu-
tion plus diversifiée, un accueil plus convivial ou une
meilleure disponibilité des vendeurs. En 1984, c’était
tout à fait nouveau.
AUX ÉTATS-UNIS, PUIS EN EUROPE
Pour anticiper l’avenir et si possible acquérir
un coup d’avance, le séminaire emmène plusieurs fois
par an une douzaine de participants dans de grandes
villes américaines. Les visites sont préparées par Éric
Langear et Pierre Eiglier qui disposent d’un prestigieux
carnet d’adresses. Échanger au sommet des tours
jumelles avec les banquiers de Wall Street ou
étudier
les plans marketing de talentueux patrons de
chaînes de magasins populaires ouvrait le champ
des possibles
et
« donnait le goût de la réussite »
.
« C’était
devenu le must : 70% des directeurs généraux ont participé
à ce séminaire,
se souvient-on à l’IFCAM.
C’était si
passionnant que les Caisses régionales ont souhaité que les
directeurs adjoints et les directeurs commerciaux y parti-
cipent. »
Le séminaire s’est élargi et les équipes de cadres
de direction se sont elles aussi frottées à la culture de
l’innovation et du changement, cette fois auprès des
entreprises les plus en avance en Europe.
DES VISITES DEVENUES EMBLÉMATIQUES
Face à certaines pratiques, les directeurs géné-
raux s’étonnent franchement. Par exemple lorsque les
clients américains d’une grande agence de Chicago s’ar-
rêtent avant le guichet, juste derrière un large trait mar-
qué au sol. Il semblait impossible que l’on puisse un jour
imposer à un client français de patienter sagement en
ligne... Plus sérieusement,
la polyvalence du person-
nel des agences bancaires américaines a suscité
bien des questions avant l’adhésion.
Il n’était pas
rare d’entendre pendant les visites
« Comment ça ? Ce
guichetier est multi-produit ? Mais il est impossible qu’un
seul gars soit capable de parler de tout ! À chacun son
métier ! »
Tandis que les participants mesuraient dans le
même temps tout l’intérêt de la polyvalence, tant pour
l’organisation de l’entreprise que pour le salarié dont le
métier devenait soudain bien plus intéressant.
Aux
États-Unis, le guichetier était capable de vendre
une carte bancaire et de conseiller un placement...
En France, à la même époque, le client devait prendre
deux rendez-vous et lorsqu’il s’agissait de crédit, fonc-
tion la plus noble, seuls le chef d’agence et son adjoint
étaient habilités à en proposer.
«Adapter le service au
client que j’ai en face de moi, c’est aussi cela la servuction, et
cela a naturellement eu un retentissement formidable sur la
stratégie des Caisses régionales »,
rappelle Denis Tétu.
«Adapter le service au client
que j’ai en face de moi, c’est
aussi cela la servuction»
GAGNER CINQ ANS
SUR LA CONCURRENCE
« La servuction, il faut que tout le monde s’y
mette. »
Les enseignements du séminaire sont si forts
que les directeurs généraux demandent à ce que les
concepts de la servuction soient enseignés à tous
les niveaux, jusqu’aux chefs d’agence. C’est ainsi que
les séminaires s’enchaîneront durant près de sept ans.
Marketing du futur a bel et bien permis de gagner cinq
ans sur la concurrence. Et si personne ne peut le prou-
ver scientifiquement, nul doute qu’il a favorisé la diffu-
sion d’une formidable culture de la relation client et de
la distribution des services.
1976-2016 L’IFCAM a 40 ans
Ensemble, formons notre avenir