Agricultrices d'ici

Cette publication interactive est créée par Uni-médias.

Terre de passions

Agricultrices d’ici

Charente - Périgord

Terre de passions

Agricultrices d’ici

Charente - Périgord

2

Angoumois et Nontronais

Agricultrices d’ici

3

Avant-propos

« Et un jour, une femme... »

4

Avant-propos

En 1994, à Lanouaille, année de la création de la nouvelle Caisse régionale Charente-Périgord, Gilberte Tallet était la première femme élue présidente d’une Caisse locale du Crédit Agricole. En 2018, nous étions 11, en Charente et en Dordogne, pour représenter celles et ceux qui font vivre notre territoire. Aujourd’hui en France, un agriculteur sur trois est une femme. Dans les vignes et au chai, dans les vergers et les laboratoires, dans les champs et sur les tracteurs, auprès des animaux, dans les bâtiments et dans les prés, les femmes de la terre investissent l’espace rural et s’y épanouissent. Viticultrices, arboricultrices, éleveuses, céréalières... Elles ont parfois reçu leur passion en héritage, l’ont souvent cultivée par apprentissage et l’ont toujours acceptée avec humilité et volonté. Pour leur rendre hommage, la Caisse régionale du Crédit Agricole Charente-Périgord a choisi de faire le portrait de ces 40 femmes, en leur donnant la parole. Au fil des pages qui vont suivre, nous vous invitons à les rencontrer dans leurs exploitations pour découvrir leur parcours, leurs envies, leurs engagements et les challenges qu’elles relèvent avec beaucoup de caractère et de conviction. À travers leur quotidien et leur vécu, elles évoquent les combats et les réflexions de leur génération respective, parlent de leurs bonheurs et de leurs malheurs, de leurs espoirs, de leur famille et de leur passion pour la terre et ses richesses. 40 femmes, 40 personnalités, 40 histoires... Et pour toutes, une vérité : la liberté d’avoir choisi sa vie.

Les présidentes des Caisses locales Charente-Périgord

Agricultrices d’ici

5

24

16

Angoumois et Nontronais

18

20

28

26

14

60

56

54

22

64

Périgord vert et blanc

12 50 40

66

62

46 48

10

70

42

32

68

38

58

36 34

Cognaçais et Riberacois

44

94

90

92 74 88

86

82

78

76

80

84

Bergeracois et Sarladais

Angoumois et Nontronais

Cognaçais et Riberacois

10 Sylvie Charron, Champagnac-de-Belair 12 Susana Ciscares, Saint-Saud-Lacoussière 14 Claudine Daniau, Saint-Ciers-sur-Bonnieure 16 Jessica Fontaine, Alloue 18 Esther Hervy, Ansac-sur-Vienne 20 Évelyne Lohues, Saint-Maurice-des-Lions 22 Laetitia Lion Gabard, Soyaux 24 Marie Mensen, Ruffec

54 Valérie Bodin, Nercillac 56 Aude Briand, Échallat 58 Catherine Dubesset, Ribérac 60 Fanny Fougerat, Burie 62 Sylvie Laborie, La Rochebeaucourt-et-Argentine 64 Estelle Luini, Genté 66 Gwénaëlle Nau, Saint-Médard 68 Sandrine Pannaud, Bors-de-Montmoreau 70 Isabelle Rabreau-Galopin, Saint-Laurent-de-Belzagot 74 Sylvie Alem, Rouffignac-de-Sigoulès 76 Emily Auroux, Boisse 78 Isabelle Bonnefond, Rampieux 80 Sylvie Dejos, Lolme 82 Sylvie Gondonneau, Monsac 84 Muriel Landat-Pradeaux, Saint-Aubin-de-Cadelech 86 Valérie Malaury, Veyrines-de-Domme 88 Fanny Monbouché, Monbazillac 90 Gaëlle Reynou, Saint-Michel-de-Montaigne 92 Laurence Rival, Singleyrac 94 Marie Rouquié, Sainte-Nathalène Bergeracois et Sarladais

26 Joëlle Michaud , Chabanais 28 Céline Roche , Chabanais

Périgord vert et blanc

32 Christine Borella, Vaunac 34 Magali Gayerie, Saint-Rabier 36 Valérie Joffre, Nailhac 38 Isabelle Lasternas, Saint-Cyr-les-Champagnes 40 Geneviève Perron-Dufraisse, Saint-Priest-les-Fougères 42 Marie-Odile Pouquet, Lanouaille 44 Patricia Rebillou, Cendrieux 46 Karine Romain, Saint-Martin-de-Fressengeas 48 Émilie Soldat, Saint-Paul-la-Roche 50 Hélène Talou, Miallet

Culture Élevage Viticulture

Agricultrices d’ici

7

Angoumois et Nontronais

Sylvie Charron Susana Ciscares Claudine Daniau Jessica Fontaine Esther Hervy Évelyne Lohues Laetitia Lion Gabard Joëlle Michaud

Céline Roche Marie Mensen

Sylvie Charron Élevage ovin

« Un choix de vie mûrement réfléchi »

À la tête d’un cheptel de 800 brebis en association avec son frère, Sylvie Charron revient sur les motivations qui l’ont poussée à poursuivre l’histoire agricole familiale.

« Je suis née au sein de l’exploitation familiale. J’adorais la vie à la ferme, qui était pour moi comme une grande fête de famille permanente. J’étais prédestinée au métier d’agricultrice, je l’associais alors à une façon de vivre. Il m’a fallu du temps pour décider d’en faire mon métier. J’avais l’envie et la passion et j’étais prête à m’installer mais, là, j’allais voir les choses du côté professionnel et ce serait moins rose... » Sylvie a mis dix ans pour être sûre de faire le bon choix. Dix années passées à la chambre d’agriculture de Périgueux, avant qu’elle ne revienne à l’exploitation pour s’y associer avec son frère. Des agneaux de races lacaune et Île-de-France naissent et grandissent in situ et des terres sont cultivées pour la pâture et les productions destinées à l’autoconsommation. Au chapitre des engagements – « la famille s’est toujours impliquée dans le syndicalisme professionnel » –, l’éleveuse siège à la commission technique ovine de la coopérative Univia de Thiviers.

« C’est chronophage, mais j’ai pu ainsi participer, par exemple, en 2006, à l’obtention de l’IGP Agneau du Périgord. C’est très intéressant de valoriser notre savoir faire, de réfléchir ensemble et de se remettre en question de manière collective. » Dans la bergerie, Sylvie se confie davantage. « Ce n’est pas simple de faire naître des animaux, de les élever et de les voir partir. D’ailleurs, si j’entretiens des relations affectives avec les brebis, je me l’interdis envers les agneaux. On y pense, on en parle, et puis on oublie, et on recommence l’année d’après. Pour être un bon éleveur, il faut être bien dans sa peau et bien dans sa tête. » Très philosophe à la veille de la retraite, Sylvie évoque avec un sourire serein les bienfaits de ses périples accomplis durant l’hiver. « Je me réserve une quinzaine de jours pour voyager vers des pays de l’hémisphère Sud. Cela me permet de découvrir de nouveaux paysages, d’autres fonctionnements de société, d’autres modèles de vie. C’est réconfortant et ça remet les pendules à l’heure. »

10

Angoumois et Nontronais

Susana Ciscares Élevage de vaches limousines

12

Angoumois et Nontronais

« La génétique, pour faire mieux que plus »

Fière de son troupeau, Susana Ciscares a tout mis en œuvre pour réaliser son rêve d’enfant. Une vie épanouie entre les prés et la stabulation.

Une mère institutrice, un père jardinier et technicien intermittent du spectacle, une enfance partagée entre Saintes et Cognac : il était difficile d’imaginer que Susana puisse un jour devenir éleveuse de limousines en Périgord vert. « J’ai toujours dit que je deviendrais “fermière” , assure-t-elle. J’aimais les animaux, la nature – le hand-ball aussi – et les chevaux anglo-arabes de notre voisin. » Déterminée, la jeune Charentaise s’oriente directement vers le lycée agricole pour passer un bac sciences et technologies de l’agronomie et de l’environnement (STAE) puis prépare un BTSA productions animales en alternance. « Pas facile de trouver un maître d’apprentissage quand on est une fille et, en plus, hors du cadre familial : c’était la double punition » , poursuit-elle. Après son passage dans un élevage vers Confolens, le lycée agricole de Limoges lui confie un poste de responsable du troupeau. « C’était l’idéal pour faire mes armes et connaître le réseau des techniciens de la filière , apprécie-t-elle. Mais je voulais être plus autonome dans la gestion du cheptel. C’est pour ça que je voulais m’installer. »

Susana est attachée à la race limousine et veut rester dans la région. En 2011, après neuf mois de parrainage en parcours d’installation, d’études sur la viabilité de son projet et d’adéquation avec ses désirs d’indépendance, elle s’installe en Earl à Saint-Saud. « Le démarrage a été dur , reconnaît l’éleveuse. Il fallait agrandir le troupeau, les infrastructures et revoir la génétique et la lignée du troupeau... C’est ça qui me passionne, faire plutôt mieux que plus. L’objectif premier, ce n’est pas que mes vaches soient des stars primées en concours, mais que les mères vêlent facilement, élèvent bien leurs veaux et que ceux-ci soient de qualité. Et je vous assure que je préfère les voir partir chez un éleveur que monter dans un camion pour l’abattoir ! » Susana se sent bien au milieu des éleveurs et s’est très bien intégrée dans son village d’adoption. Membre du Périgord Limousine Club, elle affirme beaucoup apprécier la dynamique agricole du secteur, qui compte de nombreux jeunes exploitants. Son paradis ? « Faire le tour du troupeau, voir un veau qui vient de naître téter de bon cœur… » Sa fierté ? « À mon arrivée, on me regardait de près ; maintenant, on me demande mon avis... Ça fait plaisir. »

Agricultrices d’ici

13

Claudine Daniau Cultures céréalières

Installée depuis plus de vingt ans dans son exploitation céréalière avec son mari, Claudine Daniau a toujours la passion de son métier, qu’elle a transmise autour d’elle. Claudine a décidé de reprendre l’exploitation céréalière familiale l’année de ses 30 ans. Son père s’apprêtait à partir à la retraite et elle n’a pas voulu laisser les terres achetées au départ par son grand père. « Je suis fille unique, mais mes parents n’ont absolument pas fait pression sur moi pour que je prenne leur suite » , affirme la quinquagénaire qui, sous ses airs timides, cache un tempérament au contraire assuré. « Maman ne se laisse pas marcher sur les pieds » , confirme son fils aîné, qui s’est lui aussi engagé dans le milieu agricole. « Revenir dans l’exploitation familiale, ça permettait d’être plus proche de mes enfants, ça fait partie des points positifs du métier » , raconte l’agricultrice, mère de trois enfants, qui a travaillé en tant qu’animatrice auprès du syndicat des Jeunes agriculteurs avant de

s’installer. « C’était très bien de faire quelque chose avant, je pense que ça m’a aidée à développer une certaine ouverture d’esprit, on voit autre chose et on ne reste pas enfermé dans le schéma familial » , estime-t elle aujourd’hui. « À 30 ans, on sait ce qu’on veut faire et on sait pourquoi on le fait » , ajoute Claudine. La céréalière souligne que le métier d’agricultrice a « beaucoup changé »  : « Nous sommes aujourd’hui de véritables chefs d’entreprise , explique-t-elle. Nous devons chaque jour gérer notre outil de travail et prendre les bonnes décisions tant sur le point technique, qu’économique ou financier. » Quant à sa condition de femme, elle estime qu’elle ne lui a jamais causé le moindre problème dans le métier : « On n’a évidemment pas la même force qu’un homme mais ça ne constitue en aucun cas un obstacle » . Selon Claudine, « Le plus important, c’est la motivation, qu’on soit un homme ou une femme ne change pas grand-chose » . « Notre profession se féminise et les débats s’enrichissent avec la vision des femmes » , conclut-elle.

14

Angoumois et Nontronais

« Notre profession se féminise et les débats s’enrichissent »

Agricultrices d’ici

15

Jessica Fontaine Production laitière caprine

« Sans aucun regret... »

Ex-gendarme, Jessica a rejoint son compagnon qui exploite la propriété familiale en faisant le pari d’augmenter le cheptel caprin.

Jessica est née bien loin de la Charente. Elle a vu le jour et a grandi jusqu’à l’âge de 12 ans sur l’île de La Réunion, avant de suivre ses parents fonctionnaires en région parisienne, puis en 1998, à Toulouse. C’est dans la ville rose qu’elle poursuit ses études, avec à terme l’obtention d’une maîtrise de droit et d’économie. «Onm’avait prévenue, avec ce master, c’était compliqué de trouver du travail sans passer de concours. Après divers petits boulots, c’est ce que j’ai fait et je suis rentrée dans laGendarmerie nationale » , explique Jessica pendant que Thomas, né en 2014, joue à ses côtés. Basée au Blanc, dans l’Indre, elle demande durant trois ans une mutation qui la rapprocherait de son compagnon, Yannick, agriculteur à Alloue... Sans succès. « J’ai alors opté pour la reconversion en passant le brevet professionnel responsable d’exploitation agricole et je n’ai aucun regret. D’ailleurs, je n’envisageais même pas de devoir laisser mon bébé toute la semaine pour aller prendre mon poste. Je me suis installée en 2015. »

Le couple fait maintenant des projets. Historiquement, l’exploitation comptait des bovins et des moutons. Aujourd’hui, elle est partagée entre les vaches limousines et 300 chèvres pour le lait. « Mais nous allons vers une baisse des effectifs des premières pour augmenter le cheptel des secondes , précise Jessica. Ce sera plus facile à gérer, parce que les mises bas en simultané sont vraiment difficiles à gérer. » Avantage aux chèvres donc. Des chèvres de race alpine... « Elles sont de toutes les couleurs et, au moment des naissances, on ne sait jamais comment elles seront » , s’amuse la jeune éleveuse qui, par ailleurs, apprécie la lecture comme moyen d’évasion. Jessica se sent bien dans l’exploitation où le travail est mécanisé au maximum. « Associée à l’arrivée d’un salarié à l’été 2018, cette option va nous permettre dans l’avenir d’avoir un peu plus de temps pour nous » , prévoit-elle avec sérénité.

16

Angoumois et Nontronais

Agricultrices d’ici

17

Esther Hervy Production et transformation de lait

« Je me suis investie à 100 % »

18

Angoumois et Nontronais

Originaire de Reims, fille et petite-fille d’agriculteurs, Esther Hervy a eu plusieurs vies professionnelles au sein de l’exploitation. De l’étable au laboratoire... « Bien qu’élevée dans une famille d’agriculteurs, je n’ai jamais eu de pression quant à mon orientation professionnelle ; ma vocation est apparue à l’adolescence, après que mes parents sont venus s’installer en Haute-Vienne » , se souvient Esther. Elle se prépare donc à rejoindre un univers qu’elle connaît déjà très bien en passant un BTA conduite de l’entreprise agricole en production lait, puis se spécialise dans la filière vacher-porcher aux Herbiers, en Vendée. Des acquis solides pour s’installer avec Christophe au Paupiquet, sans autre statut toutefois que celui de conjoint collaboratrice en raison de la surface des terres (21 hectares). Maman de trois enfants, Esther attend alors que la petite dernière atteigne ses six ans pour suivre une formation d’assistante maternelle. Durant vingt ans, elle accueillera ainsi une petite trentaine d’enfants tout en « prêtant la main sur l’exploitation » . En bio depuis 2010, la ferme du Paupiquet nourrit un grand projet : transformer sur place la production de lait. Il aboutit en 2016. Peu à peu, de jolies petites vaches aux yeux et aux oreilles de faon remplacent les

prim’Holstein dans l’étable. Les yaourts, les crèmes desserts, le fromage blanc, et même un peu de crème fraîche et de beurre sortent chaque jour du labo. Esther est devenue salariée de l’exploitation. « Nos vaches sont des jersiaires, originaires de l’île de Jersey, dont le lait est très riche , explique-t-elle. Pour ce nouveau métier, je me suis formée au sein d’Invitation à la ferme, un réseau de fermiers bio et indépendants, sur la fabrication, la qualité, l’hygiène, etc. » Investie à 100 % dans cette activité inédite et qui s’avère être une belle réussite, Esther reconnaît avoir moins de temps à consacrer à son potager – « mais on mange quand même nos légumes ! » . Elle se réserve quand même des moments de loisirs. C’est le cas pour la natation et l’aquabike (pratiquante et vice-présidente du club), ainsi que pour le hand-ball de Confolens où elle siège au conseil d’administration du club. « Mes enfants y étaient inscrits, et j’ai joué un peu aussi » , ajoute-t-elle.

Agricultrices d’ici

19

Évelyne Lohues Production laitière

Passionnée par son métier, Évelyne Lohues a tout fait pour aller au bout de son rêve : s’installer comme agricultrice en dépit des réserves de sa mère.

Sa mère la voyait coiffeuse. Évelyne Lohues, elle, n’imaginait pas sa place ailleurs que dans une ferme, là où elle avait grandi. « On a toujours été agriculteurs dans la famille, mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents… » Mais, après les réticences de sa mère, Évelyne s’est heurtée à celles de la société. « Au départ, mari et femme n’avaient pas le droit d’être tous les deux agriculteurs à leur compte. » Elle a dû être conjointe d’exploitant pendant dix ans, avant de pouvoir, enfin, s’installer seule. « C’est un métier passionnant, on ne fait jamais la même chose et, en plus, on vit dehors, c’est un luxe » , se félicite aujourd’hui la quinquagénaire au regard vif. Elle admet toutefois exercer un métier « complexe » avec des contraintes horaires importantes. Elle raconte, par exemple, avoir travaillé tout au long de ses trois grossesses : « Je m’arrêtais le jour ou la veille de l’accouchement et je reprenais le travail quatre jours après, en rentrant de la maternité. »

L’éleveuse au fort tempérament a toujours été « la seule femme » , que ce soit à l’école ou dans la coopérative où elle siège. « Être une femme, ça ne veut pas dire qu’on doit attendre que les hommes nous laissent la place » , insiste Évelyne, féministe à sa façon. Finalement, « ce qui est parfois dur, c’est le regard des autres sur notre métier qui est incompris et qui souffre de nombreux clichés » . Quoi qu’il en soit et malgré la retraite qui approche, elle n’envisage pas de totalement s’arrêter, soulignant les avantages d’un métier « dans lequel on peut vieillir » . « Tant que mon fils sera agriculteur, je lui donnerai un coup de main » , confie Évelyne, qui a également l’intention de s’impliquer activement dans son rôle de grand-mère lorsqu’elle ne sera plus en activité. « Quand on fait un métier de passion, de toute façon, c’est impossible de l’arrêter du jour au lendemain » , conclut cette agricultrice pleine de vie.

20

Angoumois et Nontronais

« C’est unmétier passionnant, on ne fait jamais la même chose »

Agricultrices d’ici

21

Laetitia Lion Gabard Maraîchage et vente directe

« Quand on est curieuse, on est capable de s’adapter à tout »

Étrangère au milieu agricole, Laetitia Lion Gabard a su trouver sa place dans la cueillette de son mari où elle joue aujourd’hui un rôle essentiel.

Pour suivre son mari dans son projet d’installation et de création d’une cueillette, Laetitia Lion Gabard a dû renoncer, non sans quelques difficultés, à un métier qu’elle adorait. « Quand nous sommes arrivés ici, je ne souhaitais pas particulièrement m’investir dans les jardins » , se souvient Laetitia, qui était jusqu’alors décoratrice-étalagiste en région parisienne pour de grandes marques. Son rôle à la Cueillette Fabulette : s’occuper de la comptabilité, donner une âme au lieu, réparti sur 6 hectares de jardins, et créer une image de marque qu’elle nourrit et enrichit chaque année. Ce que cette élégante quadragénaire préfère aujourd’hui dans son nouveau métier, c’est la relation avec les clients. « Même si ce n’est pas moi qui ai fait le choix de m’installer ici, il fallait que je me sente bien moi aussi dans l’univers de mon mari, ce que j’ai réussi à faire en ajoutant ma patte » , estime-t-elle, dix ans après leur installation. D’ailleurs, Laetitia n’a pas tout à fait renoncé à son ancien métier, puisqu’elle décore avec soin l’épicerie

qu’elle a ouverte deux ans après la création de la cueillette. « C’est stimulant de garder ainsi un contact avec ce que je faisais avant, notamment pour des occasions spéciales, comme Noël. » Elle n’est pas non plus totalement déconnectée de la cueillette et discute beaucoup avec son mari Guillaume de l’organisation des jardins, dont elle est tombée sous le charme. « On est dans un endroit magnifique : bucolique et tranquille » , s’exclame-t-elle alors qu’elle reconnaît qu’il lui a fallu du temps pour apprécier sa nouvelle vie. Aujourd’hui, elle se définit comme une commerçante, et non pas comme une agricultrice, un métier pour lequel elle s’est formée toute seule. « Quand on est très curieuse de la vie, on est capable de s’adapter à tout » , souligne Laetitia. Cette perfectionniste, à l’énergie débordante, souhaite désormais suivre une formation web pour créer un site afin de donner encore plus de visibilité à la cueillette et à son épicerie.

Agricultrices d’ici

23

Marie Mensen Apiculture et fruits à coques

« Je n’échangerais ma vie pour rien au monde »

Entre ses ruches et ses noyers, Marie Mensen a rapidement trouvé ses marques dans un cadre de vie qu’elle adore. Un an seulement après s’être installée, Marie règne déjà sur 200 ruches et 33 hectares de noyers. Une vocation que la jeune femme, issue du milieu agricole, a nourrie dès l’enfance. Après ses études, Marie a tout d’abord travaillé dans une entreprise d’insémination animale en Maine-et-Loire avant de se tourner vers l’enseignement dans un lycée agricole avec, toujours en tête, le projet de s’installer à son compte dès que possible. « J’aurais pu travailler avec mes parents puisque ma mère est elle-même éleveuse de bovins et mon père inséminateur, mais je voulais posséder ma propre exploitation » , explique la jeune femme brune au sourire timide. Elle s’est finalement tournée vers les abeilles après s’être rendu compte que « l’élevage bovin traversait une période économique difficile » . Une installation parallèle à celle de son mari, dans la commune de Ruffec, au nord de la Charente. « J’ai pensé à l’apiculture, car les châtaigniers de mon mari ont besoin d’être pollinisés » , explique ainsi Marie.

Elle suit donc avec fierté les traces de son grand-père, qui était lui aussi apiculteur et nuciculteur. « C’était peut-être déjà écrit » , glisse-t-elle, amusée. Avant de se lancer, Marie a toutefois dû retourner sur les bancs de l’école afin d’apprendre le métier. « Parallèlement, on a su qu’un verger de 33 hectares de noyers se vendait et on a vu ça comme une opportunité de diviser les risques » , se souvient l’apicultrice, qui s’est donc lancée avec enthousiasme dans ce double projet. Si le côté technique de l’exploitation des ruches lui plaît, elle apprécie particulièrement le caractère durable de l’arbre : « On plante aujourd’hui en pensant aux générations futures. » Finalement, ce qu’elle préfère dans son métier, c’est de pouvoir travailler dehors. « On effectue des tâches très différentes au fil de l’année, de la récolte des noix à la création d’essaims, en passant par la taille des arbres…On n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer » , raconte encore Marie. « Je n’échangerais ma vie pour rien au monde, j’ai la chance d’exercer un métier qui me passionne » , conclut la jeune femme qui fourmille déjà d’idées quant à ses futurs projets.

24

Angoumois et Nontronais

Joëlle Michaud Élevage bovin viande

Travailler en couple n’est pas l’option la plus simple. C’est pourtant ce qu’a fini par faire Joëlle Michaud, qui n’a jamais renoncé à son indépendance, bien au contraire. Après plus de quarante ans d’élevage, Joëlle Michaud s’apprête à prendre sa retraite, l’occasion pour elle de dresser un bilan. Un parcours parfois semé d’obstacles que cette passionnée a surmontés les uns après les autres. Issue du milieu ouvrier, Joëlle a tout d’abord travaillé pour le contrôle laitier en Charente avant de décider de s’installer. « Je voulais être exploitante et pas conjointe d’agriculteur. Je suis agricultrice comme les hommes sont agriculteurs, il n’y a pas de question à se poser » , insiste cette mère de trois enfants. Joëlle se lance d’abord avec un troupeau de chèvres mais après dix ans, elle finit par les vendre pour se consacrer à l’engraissement de bovins avec son mari. « La solitude de chevrière me pesait. » Pas question cependant de perdre son indépendance. « C’était important de bien définir les tâches de chacun pour ne pas empiéter sur le domaine de l’autre. » Elle admet que cela n’a pas toujours été facile de travailler en couple « mais au moins, quand il y a un problème, on peut vraiment le partager » . « Ça vaut aussi quand on mène des projets avec succès » , se félicite l’agricultrice.

Elle estime d’ailleurs qu’une installation est « un projet de couple, même s’il n’y a qu’un des deux conjoints qui se consacre à l’exploitation » . Il faut dire que le métier d’agriculteur peut être parfois particulièrement prenant. « Quand on possède une ferme, on n’a pas d’horaires, on sait quand on commence mais jamais quand on termine » , explique ainsi Joëlle, se remémorant les repas de famille écourtés pour retourner auprès des bêtes. Des contraintes qui deviennent « plus compliquées à supporter en vieillissant » , reconnaît-elle. Pourtant, elle porte un regard positif sur son parcours. « On aimait notre travail, donc ça nous a beaucoup aidés à affronter les coups durs » , affirme Joëlle qui considère que « l’agriculteur qui n’aime pas son métier ne peut pas réussir » . Même à la retraite, Joëlle compte d’ailleurs garder un pied dans le milieu agricole. Depuis 2012, elle s’est en effet investie dans l’association Agriculteurs français et développement international (Afdi) qui intervient auprès d’agriculteurs africains et lui a permis de découvrir le Tchad. « Il faut transmettre et partager son expérience » , souligne la bénévole devenue présidente. « Cette fois-ci, c’est moi qui ai embarqué mon mari dans mon projet » , conclut l’agricultrice aux yeux rieurs.

26

Angoumois et Nontronais

« Je suis agricultrice comme les hommes sont agriculteurs »

Céline Roche Production bovine

Après une première expérience de secrétaire, Céline Roche savoure aujourd’hui sa nouvelle vie dans les champs avec ses vaches. Les journées de Céline Roche commencent toujours par un passage en revue de ses troupes. Cette éleveuse veille sur près de 175 bovins, en majorité des vaches, mais aussi quelques veaux, et tient à s’assurer que tout se passe bien. « Mes vaches, c’est un peu comme mes filles » , confie l’éleveuse qui possède un instinct maternel très développé. Avant de reprendre l’exploitation familiale, dont elle représente la troisième génération, Céline était secrétaire.

« On ne fait pas ce métier pour l’argent, mais pour la qualité de vie »

28

Angoumois et Nontronais

S’installer était pourtant une évidence pour elle, même si sa famille l’avait toujours dissuadée à aller au bout de ce projet parce que c’était une fille. « Petite, je traînais toujours dans les champs avec les vaches, je disais que je voulais être fermière et les gens me disaient “Ah oui, infirmière comme maman”, alors je répondais “Non-non, fermière comme papa” » , se souvient-elle. Pourtant, sans le soutien de son mari Vincent, cette fille d’éleveur de bovins ne se serait « peut-être jamais lancée » . « Quand on est agricultrice, il faut savoir tout faire : on est à la fois chauffeur poids lourd, vétérinaire et secrétaire » , renchérit Céline dont l’exploitation s’étend sur 125 hectares. Pour faire face à « un travail parfois physique, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide » , conseille-t-elle.

« Moi, c’est la partie élevage qui me plaît le plus, je délègue donc les travaux des champs à des entreprises pour me consacrer pleinement au bien-être de mes animaux » , confie encore Céline. Aujourd’hui, malgré « quelques contraintes » , cette mère de trois enfants se félicite d’ « être son propre patron » . Elle gère son emploi du temps comme elle le souhaite pour concilier vie de famille et vie professionnelle. Un temps précieux pour l’éleveuse, très investie dans la vie associative de son village, notamment dans le groupe de musique où elle est saxophoniste depuis de très nombreuses années. « On ne fait pas ce métier pour l’argent, mais pour la qualité de vie , insiste Céline. Vivre dehors, c’est une chance. »

Agricultrices d’ici

29

Périgord vert et blanc

Christine Borella Magali Gayerie Valérie Joffre Isabelle Lasternas Geneviève Perron-Dufraisse Marie-Odile Pouquet

Patricia Rebillou Karine Romain

Émilie Soldat Hélène Talou

« La nature et l’élevage, je crois que c’est dans mes gènes »

32

Périgord vert et blanc

Christine Borella Élevage porcin de plein air

Devenue chef d’exploitation sur les traces de son père, Christine Borella cultive un savant équilibre entre son élevage et ses engagements. Elle a dépassé le statut de « fille de » pour développer ses activités.

mes gènes. » Elle déclare préférer la partie naissance – « le moment où la proximité avec les animaux est la plus grande » – et vient de voir s’installer son fils cadet dans l’exploitation. « Les projets, ça booste : installation, extension, pérennisation, nouvelle génération... À un moment donné, il faut avancer ! » Cet esprit de combattante a poussé Christine à s’engager notamment auprès de la Caisse régionale du Crédit Agricole, mais aussi dans l’interprofession de la filière porcine ou encore au sein de sa commune. « J’étais au départ la “fille de”, et confrontée aux traditions misogynes locales. A contrario, au niveau régional, le fait que je sois une femme n’a jamais posé de problème. Je suis fière de faire partie de celles qui ont fait avancer les choses. Tant mieux, la nouvelle génération est sortie de tout ça. »

« Jeune, j’avais déjà un peu l’idée de prendre la suite de mon père, sans pour cela afficher une véritable détermination. Et si j’ai passé un BTA, celui-ci s’orientait vers le monde bancaire en explorant les données comptables et la gestion. Après avoir travaillé trois ans au Crédit Agricole et être devenue maman à 20 ans, j’ai décidé de rester dans l’exploitation, qui comptait à cette époque une production laitière et un poste d’engraissement de porcs. » Christine s’installe en 1993 et étudie les solutions qui pourraient la séduire : son choix se porte sur le développement de l’atelier naissance et élevage de porcins en plein air. Mais les infrastructures sont pour l’instant insuffisantes et l’intégration extérieure ne se révèle pas être une bonne solution... il faudra quatre ans pour obtenir l’autorisation d’extension ! « C’était une belle expérience de vie , se souvient l’éleveuse. Alors qu’ici, le lisier est utilisé comme engrais dans l’exploitation, il a fallu travailler contre l’image du porc facteur de pollution. Avec cet agrandissement, mon objectif était de pouvoir pérenniser un à deux emplois et d’assurer une meilleure communication pour la filière. Le pari a été gagné. » « Le cochon est un animal passionnant et intelligent, il faut bien le connaître , poursuit Christine. Quand on est éleveuse, on a forcément la fibre animalière et j’aime bien travailler dehors, avec la nature. Je crois que c’est dans

Agricultrices d’ici

33

Magali Gayerie Élevage de veaux sous la mère et production de noix

« Dans la lignée familiale, dans la propriété comme dans les mandats »

Entrée sur l’exploitation familiale à l’impromptu, Magali Gayerie n’a jamais regretté d’avoir écourté ses études. Elle a atteint l’équilibre entre le travail, ses engagements et sa passion pour les voyages. « Sur toute l’année, je fais téter une trentaine de veaux. À mon sens, c’est la production où l’on a le plus de contact avec les animaux. Là, ça fonctionne au feeling alors que le lait, c’est plus technique, presque mathématique. » Auprès des derniers-nés, Magali se montre à la fois tendre et professionnelle... Depuis 2004, elle mène de front l’élevage des veaux sous la mère et la production de noix. « Plus jeune, je n’avais pas forcément choisi le terrain , avoue-t-elle. Je me voyais plutôt technicienne. Partie en BTSA productions animales à Pau (parce que c’était près de l’océan et des stations de ski), je n’ai même pas fini la première année pour vite rejoindre la ferme et reprendre une partie des activités de mon oncle... Je ne l’ai jamais regretté. »

Des investissements conséquents en infrastructure pour lesquels il lui a fallu être patiente, l’agrandissement de la surface et la reprise progressive des noyers familiaux (et de nouvelles plantations) n’ont pas empêché Magali de suivre la tradition familiale en multipliant les mandats au sein des différentes instances agricoles. Au fil de ces dernières années, on la retrouve par exemple dans les coopératives Périgord Tabac, aux Jeunes agriculteurs, à la vice-présidence de la FDSEA et à celle de la chambre d’agriculture et, donc du CrDA (Création de dynamique agricole) de Sarlat, avec lequel elle a créé un circuit court d’approvisionnement pour les restaurants scolaires du Sarladais. « Ces mandats m’offrent l’opportunité de déconnecter , apprécie-t-elle, en m’incitant à m’organiser comme à évoluer, et même à vivre de grands moments qui me parachutent parfois jusqu’à Paris ; c’est tellement intéressant ! Cela dit, si mon métier me passionne, je ne veux pas en être esclave. Les voyages, mais aussi le snow-board ou le surf, me permettent de relativiser et d’entretenir une ouverture d’esprit nécessaire pour gérer la géométrie variable de l’exploitation. Il faut savoir s’adapter et aimer le changement... Cela me va bien. »

34

Périgord vert et blanc

« C’est important d’être autonome »

Valérie Joffre Production bovine et noix

Technicienne et observatrice, attentive à la finesse du ressenti, Valérie Joffre rebondit sur les expériences. C’est une productrice cartésienne et pragmatique. Devenir agricultrice au pays de la noix en Périgord ? Ce n’est pas forcément ce à quoi pensait Valérie lorsqu’elle était enfant. Fille d’expatriés aux racines alsaciennes et méridionales, puis béarnaises, elle a beaucoup voyagé. C’est en préparant un BTS industrie agroalimentaire qu’elle rencontre Fabien, promis à intégrer l’exploitation familiale. « J’aime entreprendre et j’ai poursuivi avec un diplôme d’études supérieures techniques universitaires dans une école de management et qualité à Angers, avant de devenir technicienne qualité sur l’appellation Jambon de Bayonne. À la fois en Béarn et en Dordogne... Pour moi qui déteste être coincée, c’était parfait , se souvient-elle. Je suis toujours à fond dans tout ce que fais. Je ne pensais et ne vivais que pour mon travail... six ans à 200 % ; pas un burn-out, une overdose volontaire. Après la naissance du premier de mes fils et comme la surface de l’exploitation prenait de l’ampleur, je me suis

lancée pour prendre part au développement de celle ci. En commençant progressivement, d’abord seule en autonomie dès 2009 pour gérer les décisions et la communication, puis je suis entrée dans le Gaec un an plus tard. » Pour ne pas déroger à sa ligne de conduite, Valérie veut « une partie bien à elle » . Elle se tourne alors vers les veaux sous la mère. « Je me sentais bien avec cette activité qui réclame une bonne intuition et un vrai sens de l’observation. Il faut y aller avec finesse mais c’est aussi très technique » , explique-t-elle. La technicité... C’est le côté cartésien de Valérie. « Pour moi, il y a toujours une explication et toujours une solution. Tout a un sens. C’est vrai que je suis plutôt carrée dans ce que je fais et l’élevage, comme les noix, implique d’être très à l’écoute de la nature et de comprendre. » Avec le souci du détail, Valérie affiche par ailleurs un esprit très pragmatique, mis au service de la logistique de l’exploitation et à celui de son mandat de présidente de la coopérative agricole de La Bachellerie-Hautefort. Sans oublier la gestion d’un foyer avec trois hommes à la maison... Le dernier est né en 2014.

Agricultrices d’ici

37

Isabelle Lasternas Élevage et sélection de bovins limousins

Agricultrice par naissance puis par amour, Isabelle Lasternas participe à la sélection du cheptel de l’exploitation familiale. Elle s’y consacre à 100 % mais se réserve des moments de tranquillité.

« Ce que j’aime le plus, c’est faire le tour des prés le matin au soleil levant, dans le silence, et de voir les animaux s’y sentir bien. » Il règne effectivement une atmosphère sereine autour des bâtiments où s’abritent les limousines de la famille Lasternas. Ici, Isabelle apporte à l’élevage sa sensibilité et la force d’une vraie passion pour la qualité du troupeau. Et pourtant... Fille d’éleveurs de vaches laitières du côté de Saint-Étienne dans la Loire, elle se l’était jurée : elle « ne se marierait jamais avec un paysan ! » Finalement, après des études de commerce, elle rencontre son futur mari et devient... femme de paysan en Périgord. D’abord salariée, elle s’installe en 2010 en Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec). Son activité s’articule entièrement autour des vaches, de la naissance à la sélection en passant par l’élevage et l’engraissement. « Si ce n’est pas nécessaire, je préfère ne pas m’occuper du vêlage , avoue Isabelle. Perdre un veau, c’est très stressant pour moi... Je suis trop émotive. »

« C’est comme pour les concours , poursuit-elle. C’est le domaine de prédilection de mon mari et de ma fille ; c’est un univers impitoyable et depuis vingt cinq ans, je devrais y être habituée... Mais non, je n’arrive pas à me fabriquer une carapace. » Dans la pièce à l’entrée du grand bâtiment, les plaques et les rubans reçus sur les podiums par les meilleurs représentants du cheptel font cependant étinceler les yeux d’Isabelle. « Je suis quand même très fière de les avoir vus naître puis, de les avoir accompagnés jusqu’à leur sacre. Avant, il faut leur apprendre à marcher et à nous respecter. Cette partie dressage est le volet “glamour” du métier avec des moments durant lesquels une relation complice, mais ferme, peut s’établir avec l’animal. Élever des bêtes de concours, c’est un challenge au quotidien. » Si elle pratique avec plaisir la zumba, Isabelle Lasternas aime aussi se ressourcer dans la nature. « J’adore fleurir ma maison et apporter beaucoup de soin à l’exploitation. C’est mon côté contemplatif. Et quand tout est tranquille, je vis des moments privilégiés auprès de la flore. »

38

Périgord vert et blanc

« Élever des bêtes de concours, un challenge au quotidien »

Agricultrices d’ici

39

Geneviève Perron-Dufraisse Production viande bovine

« Le travail se fait en équipe et en concertation »

Arrivée du Canada en 1987, Geneviève Perron Dufraisse aime les challenges. Elle apprécie de n’avoir « jamais été mise dans une case » . L’accent de Geneviève n’a rien d’occitan et pour cause : il vient comme elle du Nord-Ouest du Québec, bien loin des terres du Périgord vert où elle a suivi son mari. Fille d’un industriel forestier canadien, elle avait fait des études pour devenir ingénieur dans le bois... Elle ne les a jamais finies. « C’est l’amour qui m’a appelée , explique-t-elle. J’ai rencontré un Périgourdin alors installé au Québec et quand il est rentré dans son exploitation familiale en Dordogne, je l’ai rapidement rejoint. J’étais jeune... Je ne veux pas dire que je n’ai pas réfléchi – l’agriculture, la nature... ce n’était pas loin de la forêt – mais j’ai avant tout écouté mon cœur. J’ai quitté mon pays pour trouver une famille accueillante, qui a tout fait pour que je me sente bien. » Une licence d’anglais passée à la fac de Limoges et quelques remplacements dans l’enseignement n’ont pas convaincu Geneviève. Elle passe le brevet d’études professionnelles agricoles (BEPA) en 2000 et s’intègre à l’exploitation. « C’est important d’avoir son propre statut , affirme-t-elle. Je ne voulais pas n’être que “l’épouse de” et que l’on me mette dans une case. Cet ordre de pensée ne fait d’ailleurs pas partie de ma culture. »

Quelques années et quatre enfants plus tard, Geneviève ressemble autant à un chef d’entreprise qu’à une agricultrice. Ici, à Coutancie, on élève le fameux bœuf éponyme, dont la viande est appréciée des gourmets du monde entier. Environ 900 têtes de bétail, 300 hectares de maïs et la production de compost bio rythment les journées professionnelles de l’éleveuse franco-canadienne. « Je ne suis pas tous les jours avec les animaux... L’administration, la gestion, les rapports humains, la logistique, le contrôle qualité, l’étude des procédés techniques dans ces productions particulières et haut de gamme : le travail se fait en équipe et en concertation. J’aime cette diversité, partager, communiquer, participer aux brainstormings, échanger des expériences... et optimiser les rapports humains. Le vrai challenge est là. Pour le réussir, il faut être souple, à l’écoute, être polyvalente et prête à apprendre, s’informer et ne pas vivre en vase clos. » Et si Geneviève avoue avoir « la liberté de travailler beaucoup et avec plaisir » , elle apprécie aussi « la liberté d’organiser ses journées » . Après le piano, elle s’est mise au violon, pratique la natation et veille à prendre du recul. « Je marche énormément dans la propriété. Ça me vide (un peu !) la tête, moi qui ai toujours 50 000 choses auxquelles penser. » Et une énième en plus ? « Oui, pour encore nous diversifier, nous avons décidé avec mon mari de planter des châtaigniers... 200 pour commencer. »

Agricultrices d’ici

41

Marie-Odile Pouquet Arboriculture

Habituée à défendre ses positions depuis l’âge de 18 ans, Marie-Odile Pouquet est aussi déterminée dans ses vergers que dans les institutions où elle est élue.

dehors on peut prendre la température du végétal, là on prend le pouls de l’exploitation et cela nous a toujours permis, soit d’anticiper soit de trouver des réponses aux problématiques. » Et dans les vergers, il faut compter avec la nature : 1991, gel et aucune récolte ; 1992, surproduction et « à deux doigts de partir à l’autre bout du monde »  ; 1999, tempête ; 2012, regel et aucune récolte ; 2013, grêle en août, aucune récolte ; 2017, gel et 50 % de la récolte perdue... « Il faut rester humble » , accepte Marie-Odile. L’arboricultrice, qui se dit plutôt introvertie, met sa détermination dans la lutte contre l’individualisme, avec un engagement coopérateur pour toutes les productions. Elle est fière, dans ce cadre, d’avoir travaillé sur les chartes qualité des AOP Pomme du Limousin et Noix du Périgord. Pendant plus de vingt cinq ans aux Prud’hommes et dans les associations paritaires employeur-salarié, elle siège aussi à la commission employeurs de la FDSEA. « Les manifs, ce n’est pas mon truc , précise Marie-Odile. En revanche, je monte rapidement au créneau pour défendre un dossier. Je ne le montre pas trop mais, en fait, j’ai un sacré caractère… Parfois, ça surprend ! »

Fille d’agriculteurs, Marie-Odile n’a jamais dévié de son idée première. En 1975-1976, elle avait décidé de passer son bac et de devenir agricultrice et il en sera ainsi ! « À 19 ans, j’étais conjointe collaboratrice et mon mari m’a laissée libre de mon choix. J’ai eu de la chance parce que ce n’était pas l’avis de tout le monde à mon époque, et je me suis installée en 1988 » , se souvient elle. Le jeu des héritages et des remembrements va par la suite faire émerger deux exploitations à vocation majoritairement arboricole, avec des noix, des poires et surtout des pommes. Deux sites aujourd’hui réunis en un Gaec familial, avec le retour de l’un de ses fils dans la propriété. « Le travail en extérieur aura été l’une de mes premières motivations , explique Marie-Odile. Avant, j’étais pratiquement toujours sur le terrain ; jamais pour la taille mais pour l’éclaircissage, la pollinisation et la cueillette. Et si je donne encore un coup de main pendant les coups de feu, j’ai progressivement et gentiment glissé vers l’administratif. » « Et on se laisse prendre par le métier... Au début pour son aspect manuel, et puis, après, avec les cahiers des charges des productions, le social et la comptabilité, la PAC... Je ne veux pas externaliser : tout comme au

42

Périgord vert et blanc

« Faire valoir son indépendance »

Agricultrices d’ici

43

Patricia Rebillou Production de fraises et agrotourisme

« Réfléchir à chaque projet en se projetant dans l’avenir »

Agricultrice depuis son mariage, Patricia Rebillou fait de son métier un apprentissage permanent pour faire évoluer les activités de l’exploitation. Fille de négociants en laine de mouton, Patricia ne s’était pas vraiment préparée à travailler à la ferme. « De toute manière, je n’étais pas une urbaine , assure t-elle. Et puis à l’époque, en Périgord, même ceux qui n’avaient qu’un lopin de terre cultivaient des fraises. Je connaissais donc, mais je suis vraiment tombée dedans en rencontrant mon mari. » Pour se « mettre en terrain connu » , elle passe un brevet professionnel agricole et développe aussitôt des projets. Produire des fraises ? D’accord... mais pas seulement ! Les cours sont fluctuants et pour ne pas se laisser surprendre, Patricia devient l’une des très rares productrices transformatrices de fraises de Dordogne, non sans avoir suivi les formations correspondantes, depuis les préparations, en Lozère, jusqu’à la création des étiquettes ailleurs. « Je privilégie les apprentissages pratico-pratiques, explique la fraisicultrice, qui vous donnent des outils et un réseau. »

Membre de Bienvenue à la ferme depuis 2001, longtemps chargée de l’accueil en ferme pédagogique et toujours active sur les gîtes de tourisme ( « pour le contact » ), Patricia reconnaît « avancer doucement et prudemment, en réfléchissant à chaque projet et en se projetant dans l’avenir. » On lui dit souvent qu’elle est en avance sur son temps, que les autres ne sont pas prêts. Présidente des Producteurs de fraises de Dordogne depuis 2012, elle y aborde toutes les problématiques de la filière et privilégie les solutions novatrices. Dans ses serres, Patricia expérimente la lutte intégrée depuis plusieurs années, en ayant débuté par les purins végétaux. Aujourd’hui, elle se spécialise dans l’entomologie et sa loupe ne la quitte pas... « Pour moi, une mouche, ça n’existe pas. Je demande : laquelle ? C’est comme les pucerons. Celui qui a des rayures sur les pattes ? Il en existe sept ou huit espèces sur les fraisiers... En fait, il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Et ça tombe bien : je déteste la routine ! » , conclut cette passionnée de dessin et de broderie.

Agricultrices d’ici

45

Karine Romain Élevage bovin, veaux sous la mère

Après avoir choisi l’élevage par passion et par amour, Karine Romain se sent aujourd’hui pleinement à sa place. Née en banlieue parisienne, partie avec des parents commerçants dans le Cantal où elle rencontre très jeune son futur mari, étudiante en gestion administrative et comptabilité, puis commerçante en Lozère, c’est par la suite à Riom-ès-Montagne que Karine Romain accompagne l’homme de sa vie pour s’installer en cuniculture. Tous les deux veulent cependant passer au modèle supérieur et cherchent à diriger ensemble un élevage de bovins. Ils arrivent ainsi en 2011 sur les hauteurs de Saint Martin-de-Fressengeas et réalisent leur rêve. Après avoir passé le diplôme nécessaire, Karine s’associe en Gaec avec son mari et tous deux commencent avec 140 mères. Sept ans plus tard, le cheptel en compte 210 et les activités de l’exploitation explorent la filière : naisseur, engraisseur, vente de reproducteurs et veaux sous la mère.

« Au départ, j’appréhendais un peu de manipuler les bêtes, mais j’ai rapidement dépassé cette crainte, surtout avec la préparation et le dressage pour les concours. En ce qui concerne le matériel, j’ai conduit aussitôt les tracteurs avec les remorques et je me suis mise aux travaux les plus simples » , se souvient Karine. Par ailleurs, elle assume les responsabilités dans son domaine de compétences, à savoir les tâches administratives et la comptabilité, mais aussi la naissance des veaux et le suivi quotidien de ceux-ci. En regardant les vallons où s’étagent les pâtures, la jeune éleveuse sourit... « Ici, je suis totalement épanouie. Même quand je ne travaille pas, je vais voir les bêtes. C’est sûr, au niveau des horaires, ça fait des grosses journées, mais, hormis les tétées, je peux les aménager. Je me sens libre. » Son temps libre, Karine aime le partager avec ses deux filles, en famille, avec les copains ou encore en s’occupant de la restauration de la maison et au Comité des fêtes du village. Et... avec les animaux toujours, dans les concours et au sein du Périgord Limousine Club, « où ce groupe d’éleveurs est devenu un vrai noyau d’amis » .

46

Périgord vert et blanc

« Avec de grosses journées, mais heureuse d’être libre »

Agricultrices d’ici

47

Émilie Soldat Production laitière et poulets de chair

« Une vraie constante : relever tous les défis »

D’origine montagnarde, Émilie Soldat est attachée aux animaux et aux territoires. Elle aime le milieu agricole, sans nier qu’il recèle beaucoup de contraintes.

Émilie vient d’une petite ville entre Annecy et Chamonix, en Haute-Savoie. Elle n’est pas née dans une famille d’agriculteurs, mais parle volontiers des origines paysannes de celle-ci. C’est parce qu’elle est passionnée d’équitation qu’elle s’est dirigée vers un bac sciences et technologies de l’agronomie et du vivant (STAV) puis un BTS analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole (ACSE) avant de préparer une licence professionnelle en valorisation des produits et espaces de montagne. Le hasard et son compagnon l’ont conduite jusqu’en Périgord vert, où une propriété était à reprendre. Après un stage de parrainage, ils s’installaient en 2013. « Ce n’était pas facile , se souvient Émilie. J’avais construit ce projet pendant mes études et quelques jours après ma soutenance, j’étais au travail... Je n’avais pas 23 ans ! C’était peut-être trop tôt... »

Après une enfance citadine, la jeune éleveuse a pu constater ce qu’elle savait déjà : la production animale, c’est beaucoup de contraintes... Dynamique et sociable, Émilie reconnaît avoir besoin de rencontrer des gens, de partager. Amoureuse de son terroir et de ses valeurs, elle se tourne vers l’avenir et adore se lancer des défis. Elle a, par exemple, passé les permis moto, poids lourd et remorque. Elle est aussi très sportive et aime bouger. Elle sort sa jument en concours hippique et effectue une mission pour la chambre d’agriculture de la Dordogne, dans laquelle elle s’investit beaucoup. « J’aime les animaux , déclare telle. Je suis très attachée aux vaches de l’exploitation... Chacune à un nom ! »

Agricultrices d’ici

49

Made with FlippingBook flipbook maker